jeudi 4 février 2016

Notes de lecture - Education pour un monde nouveau, de Maria Montessori

En tant qu'assistante sociale, je travaille à l'Education Nationale, en contact donc avec des jeunes et directement concernée par la question de la protection de l'enfance. Avant même ce parcours professionnel, le domaine de l'enfance, et surtout de la petite-enfance, m'a toujours passionnée et je suis rentrée dans ce monde par Piaget et Dolto.

Aujourd'hui j'aimerais vous parler de Maria Montessori. On pourrait se dire "inutile de la présenter". En effet, Pinterest regorge d'exemples d'activités type "Montessori" et la blogosphère est remplie d'article sur ce sujet. Mot clé : la responsabilisation de l'enfant, via la liberté et le respect de son développement.
Mais encore ? Est-ce seulement cela ? Jusqu'où va sa philosophie ? Son regard sur l'enfant est formidable, mais dans quel monde le place-t-elle ? Comme s'articule sa réflexion ?



Selon mon ami Wikipédia, notre chère Maria est née fin 19ème en Italie au sein d'une famille bourgeoise. Elle décide de devenir médecin, ce qui pour l'époque et l'avancée des droits de la femme était assez fou. D'ailleurs ça lui plaît pas trop, à Papa Montessori, que sa fillette devienne médecin, tout comme les universitaires qu'elle côtoie qui n'aiment pas trop qu'une femme vienne leur piquer la suprématie (vilain patriarcat, vilain)(oups, on a dit pas d'éducation violente). Bref, de fil en aiguille elle s'intéresse à moult choses, devient connue, aiguise ses connaissances et ouvre une première Maison des Enfants dans un quartier craignos de Rome début 20ème. Le succès explose et elle fut connue du grand public, qui se révéla fasciné par ses méthodes et les effets incroyables sur les enfants.

Rappelons qu'à l'époque, les enfants (et ne parlons même pas des bébés, on considère encore que ce ne sont que des tuyaux tout juste capables de ressentir de la douleur) ne sont pas au top de la considération et elle pose un fait important : il faut prendre en considération l'enfant. Avoir du respect pour lui. Et non, un enfant n'est pas un adulte en puissance, qui finalement doit attendre quelques années avant d'avoir un état parfait. Un enfant est déjà un individu en lui-même. Pour cet apport incroyable dans la psychologie et la prise en considération humaine, Montessori mérite le statut de déesse.

Nous en revenons donc à notre sujet, Education pour un monde nouveau. Comment résumer ce livre ? Il y a des passages qui m'ont émerveillé et que j'ai envie de photocopier en million d'exemplaires pour le filer à tout le monde. Et il y a des passages qui m'ont fait ricaner, voir bondir littéralement de ma chaise en m'étouffant dans mes valeurs. Et là, il faut absolument contextualiser les choses, sous peine de lancer Montessori dans la fosse aux lions.

Son livre reprend abondamment son précepte phrase : l'apprentissage est une capacité innée, chez tout les enfants, qu'importe leur genre, leur sexe, leur origine ou leur lieu d'habitation. Un enfant naît pour apprendre grâce à son pouvoir d'expérimentation.
" L'éducation est un processus naturel qui se développe spontanément dans l'individu humain et s'acquiert non en écoutant des mots mais en faisant des expériences sur l'ambiance".
Ainsi l'éducateur est là pour modifier et jouer sur l'environnement, non sur l'apprentissage. C'est ainsi que les 5 sens sont sollicités notamment par le toucher avec les célèbres lettres et chiffres en reliefs.
Et c'est là que ma première critique apparaîtra. Je trouve son regard sur le jeu assez dur. Elle ne le voit que par le prisme de l'expérimentation et de l'acquisition, et presque plus dans le sens du jeu "inutile". Elle oppose jeux de poupées, de soldats et les jeux estampillés Montessori. Or, la simplicité du jeu est-elle mauvaise en soi ? Le jeu doit-il avoir toujours un but d'apprentissage ? Pour elle "le jouet a pris tant d'importance que les gens croient que c'est une aide à l'intelligence". Ainsi, les jouets d'imitation sont qualifiés de "sous-imitation" car ce n'est pas du vrai matériel et elle instaure la notion d'objets réels.
Néanmoins, l'absence de rapport maître-élève est LE point le plus intéressant dans sa philosophie de l'éducation. Elle s'appuie beaucoup sur l'exemple du langage, véritable prouesse intellectuelle, et établit qu'il ne s'apprend pas, il se développe.

Quant on parle de progrès, on pense tout de suite à la frustration des touts-petits. En effet, la psyché, les idées, vont parfois plus vite que le corps. Ainsi, l'enfant veut s'exprimer alors qu'il n'a pas les mots, déclenchant des tornades de colères. Logique. En ce sens, le développement de "signer avec son bébé" m'intéresse beaucoup et j'aimerais m'y mettre avec ma propre fille. Cela peut constituer un des moyens de communication avec son enfant, pouvant désamorcer certaines crises.

Elle estime que le cap des 18 mois est très important dans le développement. La coordination pieds et mains s'affine et apporte une liberté inconsidérable. C'est souvent à cet âge là qu'on voit les petits, concentrés comme s'ils peignaient la Joconde, faire des allers-retours avec un seau remplie d'eau/de terre/de jouets/tout autre objet à sa portée pour aller le vider plus loin. Et refaire l'opération. Indéfiniment. De notre place d'adulte c'est fascinant à regarder, puis si on ne connaît pas la psyché de l'enfant, viennent vite les interrogations dont la fondamentale : Pourquoi ? Pour rien. Parce que c'est fun de découvrir qu'on est capable de faire ça.
C'est également à 18 mois que le besoin d'achèvement de l'action devient impérieux. Il suffit d'arrêter le petit dans sa tâche en apparence inutile de transvasement et voilà qu'une crise monstrueuse éclate, qui ferait passer le conflit Israélo-Palestinien pour une simple querelle de pacotille. Ou alors quand nous, adultes, intervenons en apparence pour aider, alors qu'en fait, nous ne faisons que stopper. C'est pour le deuxième apport fondamental de Montessori, cette quête de l'achèvement, et qui m'a beaucoup aidé à comprendre les enfants en crise que je côtoyais.

Elle parle beaucoup de l'enfant qui naît dans l'amour, qui est accueilli dans l'amour, comme si cela était naturel. Je pense qu'il me faudrait lire d'autres livres d'elle car je suis étonnée qu'elle ne soit pas plus en nuance car entre les violences conjugales (durant la grossesse notamment), les viols, la violence physique et verbale, et autres problèmes d'alcoolisation et de drogues, on a pas forcément l'amour à tout les coins de rues. Elle estime que "le sacrifice des parents est quelque chose de naturel, qui donne de la joie, qui ainsi n'est pas ressenti comme un sacrifice ; c'est la vie même !". On est pas loin du "c'est trop bien de se lever à 1h du matin pour filer le sein/le biberon au bébé, c'est un tel moment de communion avec son enfant hihihihihi". Ouais mais non. Mais bon, contextualisons : élevée dans une famille bourgeoise, à une époque où la parentalité est imposée à tous comme étant LE choix de vie par excellence qui rend heureux. D'ailleurs on sent l'influence de son origine bourgeois dans son propos sur la pauvreté, on sent une volonté de se détacher de son milieu d'origine qui ne semble pas l'avoir comblé. Pour elle, l'enfant de pauvre a "une richesse intérieure" car il vit dans des "conditions naturelles" que n'ont pas les enfants élevés dans la richesse. Inutile de dire qu'à ce moment du livre j'ai éclaté de rire tellement ça me semble incongru. Ainsi sachez "qu'il ne faut pas craindre la pauvreté car c'est une condition hautement spirituelle".
Je m'en rappellerais les fins de mois difficiles tiens : "chéri, on a plus de chocolat mais t'inquiètes, on a une condition spirituelle truc de ouf".

Pour elle, le monde moderne a rendu insensible les mères aux périodes sensibles. Et là encore, contextualisons, car dans ce livre, le père n'apparaît jamais. Elle parle de mère, de maternité et d'amour maternel. Rien d'autre.
Elle critique assez vivement la médicalisation de l'accouchement, comme si les femmes rataient le coche de la naissance. Elle exprime cela par l'expression "la terreur de la naissance", qui fragiliserait le nouveau-né. En cela, difficile de la contredire, même si là encore je trouve que le fardeau de la responsabilité échoie, une fois encore, aux mères.

Autre point qui nécessiterait un approfondissement grâce au reste de sa bibliographie, tant cela m'étonne, est sa rigidité apparente dans les repères de développement, qu'elle nuance peu par l'individualité de l'enfant. Un comble ! Ainsi, pour elle, l'enfant tient assis à 6 mois, fait du 4 pattes à 9, est debout à 10, marche à 12-13 mois (alors que nous savons, aujourd'hui, que la marche peut arriver bien plus tardivement sans aucun soucis médical, et que les enfants marchant à 1 an sont considéré comme en avance au niveau moteur) et à 15 mois marche avec assurance. La feuille de route est donnée, merci aurevoir.
Elle parle également de perfection quand elle aborde le comportement, notamment face aux apprentissages et ses difficultés qui ne rendent pas l'enfant "modèle". Là aussi ce discours m'étonne tant il tranche, pour moi, avec sa philosophie de l'éducation. Elle estime ainsi qu'il existe à la naissance et lors de la vie intra-utérine, des chocs "très difficiles à corriger". Sur ce point là, les années ont prouvé le contraire, notamment grâce à l'apport phare de Boris Cyrulnik et son propos sur la résilience. Oui, beaucoup de choses se jouent avant trois ans, mais rien n'est marqué dans le marbre.

Bref, un livre très riche centré sur l'apprentissage, qui souffre à mon sens du décalage avec la société d'aujourd'hui et qui paraît sur certains points surannés face au développement de la connaissance sur le cerveau, le bébé ainsi que sur les neurosciences affectives (qui sera l'objet d'un futur article, quand j'aurais fini la conférence de Catherine Gueguen)(en gros peut-être dans 10 ans cet article verra le jour). Elle clôt son livre avec la description de l'enseignante Montessori "type". Conseil : ne prenez même pas la peine de le lire, votre féminisme en prendrait un coup. Mais comme je suis gentille et que je veux vous faire rigoler, je partage.
Comme elle le décrit dans son livre, la maîtresse (et seulement la maîtresse, point de maître nous avons dit) Montessori travaille sur l'ambiance grâce à du matériel qui doit être maintenu neuf et beau. Et, pour aller avec la beauté de ce beau matériel, la maîtresse doit être attrayante, jeune, belle, habillée avec goût, soignée, gaie et digne tout en restant gracieuse. Rien que ça. Elle souhaite en fait que la maîtresse Montessori fasse en sorte que "l'enfant, inconsciemment, puisse lui faire honneur de la trouver aussi belle que sa mère, qui est naturellement son idéal de beauté". Les ravages du patriarcat.

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