mardi 1 mars 2016

Le réflexe de comparaison, ou le lourdingue "concours de bites"

Avant d'être parent, j'étais irritée de cette constante comparaison entre enfants. Je me disais "non mais peut-être que quand tu seras mère tu seras pareille, sois compréhensive". Oui mais non, entendre un parent se vanter qu'à 10 mois son enfant parle, avec le bagage d'études que j'ai, ça me faisait profondément rire.

Et notre petite nana est arrivée. Je me suis demandé comment gérer tout ça, cette vision évidemment déformée que l'on pose sur notre enfant, notre chef-d'oeuvre. Penserais-je, comme beaucoup de parents de mon entourage, avoir engendré une génie des temps modernes ? Allais-je devenir reloue ?

Je vous spoile la suite, au cas où ça ne vous intéresse pas : non, je ne la compare pas, ou alors en des termes très neutres (sur sa taille par exemple).

La comparaison est humaine. Elle permet de se positionner, de repérer son enfant sur une courbe de "normalité", de se rassurer et de se faire mousser, histoire de se coucher avec l'idée que oui, sa gamine est formidable. Mais elle me laisse quand même sacrément mal à l'aise. Et encore plus depuis que je suis mère. Maintenant, voir une nana dire que sa fille parle à 10 mois, en plus de me faire rire, me donne des accès de rage. J'imagine des parents, moins armés, plus fragiles pour quelque raison que ce soit, lire ça. Et regarder son enfant. Et voir passer dans ce regard, cette étincelle déjà partie avant même qu'on ne puisse la retenir : la déception. Et la douleur d'être déçu. On imagine pas les dégâts que peut faire ce sentiment fugace. On pourrait me rétorquer que c'est aux autres de se protéger, que chacun raconte ce qu'il souhaite, qu'importe si ce n'est que le positif, sans aucune nuance. Oui mais non.

C'est un symptôme qu'on retrouve beaucoup sur les blogs ou pire, sur instagram. Toutes ces photos millimétrées, magnifiques, propres, belles, avec de beaux enfants rieurs. C'est normal, après tout, de montrer ça plutôt que des photos moisies. Mais l'accumulation de ces photos, cette construction de "l'univers", rend le tout franchement malsain. Toutes ces idées d'activités estampillées Montessori, tout ces DIY pour les enfants ... tout cette agitation qui nous fait oublier qu'ils ont le temps. Le temps de grandir, d'apprendre à ramper, marche, parler et que ce n'est en rien une fierté si on a un bébé au développement en apparence rapide.
C'est chouette d'être fier de son petit, et avec le boulot que je fais je dis heureusement, car voilà les dégâts psychologiques derrière, mais nous sommes en communauté. Que ce soit sur internet ou dans la vie réelle, ce n'est pas un journal qui reçoit nos paroles, mais un être vivant. Nous avons tous envie que notre enfant soit spécial, alors parfois on oublie que les enfants sont uniques ... comme tout le monde.

Cette course à la précocité m'effraie : l'escalade à qui marchera le plus tôt, celui qui parlera, rampera, fera des constructions, coucou ou aura son diplôme à Harvard. Certaines réunions de parents qui ressemblent à des check-list sur l'avance moteur et psychique de chacun des mini-bipèdes qui nous accompagnent me donnent le cafard. Cette précocité élevée comme un idéal. Et l'image de ce gamin que je reçoit dans mon bureau régulièrement, reconnu comme "haut potentiel", à côté de ses pompes, malheureux, suicidaire et qui considère que son esprit différent le trahit. Quand il part, laissant mon bureau saturé de sa détresse, je pense à tout ces parents fiers de dire qu'ils ont un enfant précoce. Et je ris jaune.
J'ai choqué une copine en disant que non, je n'avais pas envie que ma fille marche tôt, ou qu'elle parle tôt. Cette rapidité des apprentissages m'effraie. Pourtant je n'ai aucun contrôle dessus, c'est elle seule qui décidera. Mais je vois à quel point je dois me battre contre moi-même quand, insidieusement, la tristesse pointe le bout de son nez quand je dis que non, à 7 mois ma fille ne cherche pas à se retourner. Et pourquoi devrais-je me dire qu'elle est en retard ? Elle fait d'autres choses, explore différemment. Cette course à la rapidité en vient à complètement déformer ce qu'est le cadre classique du développement de l'enfant, au sens psychologique du terme. Les gens en viennent à considérer qu'un enfant qui ne marche pas à 13 mois est en retard, et qu'un enfant qui parle peu à 18 également. Quelle violence ! J'oserais même ... quelle maltraitance envers ces petits.

Et ce concours "de bites" sur les enfants me montre parfois que son origine est une souffrance : ne pas savoir complimenter quelqu'un, mal vivre une situation, vouloir être reconnue pour ses tâches ... Dimanche une connaissance a affirmé qu'elle avait besoin de congés car "ma fille c'est pas la vôtre, mon congé maternité n'en a pas été un ...". Je suis quelqu'un de calme mais là, ça a été la comparaison de trop, l'insinuation déguisée que ma fille n'était rien, qu'une gentille plante verte qu'on arrose de temps en temps, alors j'ai répondu sèchement. C'est peut-être le revers de la médaille, mon choix de ne pas parler de ma fille sauf si on m'y invite. Sauf que voilà, ma fille n'est pas là pour servir de paillasson à ceux qui ont des choses à régler avec eux-mêmes ou leur histoire de vie. Des choses à régler avec l'enfant qu'ils étaient alors et que notre société tend à faire taire.

1 commentaire:

  1. Effectivement, mieux vaut un enfant "moyen" qu'un enfant précoce (bien qu'évidemment ça ne soit pas un choix). Tu as raison, laissons à nos enfants le temps de grandir, de vivre, de s'ennuyer, de flâner, etc.

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